L’Épave

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  • 12 décembre 2024

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392 AC

Chlack, chlack ! Je serre les dents. Chaque geste est un effort, chaque respiration est une fatigue supplémentaire. Chlack, chlack ! Lever ma machette et l'abattre sur les lianes, encore et encore, est un enfer. La végétation est dense, riche, entremêlée, résistante à toute progression. L'humidité est telle que pas un centimètre de mon corps n'est sec. Mon odorat est constamment assailli de senteurs et de parfums d'une force rarement atteinte ailleurs, mélange de fragrance de fleurs, de fruits en décomposition, d'humus saturé. Sans compter les myriades de petits cris lointains d'animaux, les piaillements aigus d'oiseaux au-dessus de nos têtes, les vrombissements d'insectes sous chaque souche, les craquements des branches, ainsi que le mouvement des feuilles dans la canopée... Tout ici est surchargé, agressif, de jour comme de nuit.

Cette partie de la forêt d'Irundu est le pire champ de bataille auquel j'ai pu être confrontée. On n'avance pas. On ne voit pas à plus de deux mètres. On est sales et poisseux. Aucun de vos appuis n'est stable. Sans compter les parasites qui viennent vous piquer, vous mordre, vous démanger... Et allez vous gratter, même avec une armure souple ! Mais je sais que Kojo est très fier que je me sois portée volontaire, même si son opinion est en cet instant le cadet de mes soucis. Mais à travers lui, je sais que ça compte aussi pour pas mal de Bravos, dont un contingent entier a disparu corps et âme en même temps que le vaisseau amiral. Alors je ne ménage pas mes efforts pour représenter ma propre Faction au sein de cette entreprise commune. C'est plus qu'une simple mission de récupération d'épave. C'est aussi retrouver un symbole... et avoir peut-être enfin des explications. Comment ce fleuron de la flotte Ordis a pu périr si brutalement, alors qu'il était tout désigné pour faire face à un Léviathan de ce calibre ?

L'état-major a été on ne peut plus clair : il faut retrouver Mesektet ; sécuriser, explorer et tenter de comprendre ce qui s'est passé à bord de la Barque de Nuit. On ne peut décemment pas laisser cet emblème de la puissance Ordis pourrir dans une jungle. Oui, c'est une évidence. Sans compter que la reprise en mains de Caer Oorun doit être effective ; quoi de mieux pour occuper le terrain que de partir à la recherche d'un objectif précis et aussi prestigieux. Je me retourne un instant et jette un regard à ma colonne. Tous les troupiers sont grimaçants, dans l'effort, dans la souffrance. Mais personne ne se plaint, tous sont conscients de la grandeur de la tâche qui leur incombe. Je lorgne du côté de l'individu qui a pris place dans mon escouade. Il y a bien une facette de la mission qui me rebute un peu : l'événementialisation de la localisation de l'épave. C'est dans les paramètres de mission : il faut que cette opération soit partagée par l'esprit-ruche. Tout le monde doit savoir, doit voir, doit partager ce moment de reconquête, de revanche sur le destin.

Et c'est pourquoi j'ai dû accepter la présence d'un officier de communication, expert en Coalescence, attribué à la dernière minute et détaché dans ma section par l'Aegis. Mais la pièce rapportée ne semble pas rechigner à la tâche, bien au contraire. Pour un bureaucrate, il a du jarret, il faut le reconnaître. Discret, voire secret, il a toutefois su s'intégrer au groupe. Et les moments qu'il capte et partage à travers le Gestalt, via sa Coalescence presque invasive, sont de ceux qui mettent en valeur les qualités de mon unité et révèlent le quotidien difficile de ces expéditions. J'imagine que c'est l'une des autres ambitions de cette manœuvre propagandiste. C'est même un peu trop flatteur certaines fois, ce qui me rend mal à l'aise... Une vraie publicité vivante pour le recrutement. De plus, l'officier — dont le visage me dit quelque chose — s'est pris de passion pour Tocsin. Il faut dire que la Chimère est assez cocasse : elle finit toujours ses journées couvertes de lianes, de feuilles ou de mousses qui se sont déposées ou incrustées sur elle au fil de notre progression forestière. Je suis obligée de la nettoyer tous les soirs, à chaque campement. Un moment de complicité désormais partagé par toute la troupe. Et plus encore. Ces images volées sont maintenant relayées par les notifications de l'officier à travers tout le Gestalt. Des instantanés drôles et touchants, des mèmes devenus des rendez-vous émotionnels réguliers, pour ceux qui suivent notre expédition. Tocsin est dès lors devenu une mascotte pour tous les Ordis émus par ses apparitions quasi quotidiennes. Ce dont je me serais bien passée.

Nous arrivons au sommet de la crête que nous visons depuis ce matin. La lumière est plus forte, plus vive, car nous bénéficions d'un surplomb qui nous sort de la pénombre forestière. En contrebas, la flore semble moins épaisse. La forêt est adossée à un contrefort montagneux qui a dû bloquer la croissance de la végétation. Je donne l'ordre de monter un camp, tandis que je scrute la zone avec mes jumelles, histoire de quadriller les environs. Très vite, d'autres soldats m'imitent et nous examinons chaque centimètre du paysage pour y découvrir le moindre indice. Un cri, suivi d'un ping du Gestalt. Mes soldats font jouer leur Losange. Un éclat métallique doré, un reflet sur une surface lisse et noire. Bon sang ! Ils ont dû la trouver. Mes observateurs me partagent leur vision de l'endroit : un bout de la poupe du navire émerge sur un flanc de la montagne, et le reste du bâtiment semble enfoui sous la végétation. Mon sang ne fait qu'un tour, mais je veux confirmer tout ça par le prisme de la raison. L'engin a chuté, la proue en premier vers le sol. En remontant la paroi, on peut apercevoir des petits débris métalliques dans les pierriers, qui permettent de comprendre que l'appareil a percuté le sommet avant d'en suivre la chute et de terminer dans les arbres de la vallée. Le Gestalt est en ébullition. Des impressions de surprise, de joie, d'espoir nous submergent, au point que je dois en désactiver la plupart. Les membres de mon groupe se tombent dans les bras, oubliant la moiteur et la fournaise. Toutes ces émotions sont relayées par l'officier des communications qui semble les classer dans un ordre précis. Je comprends qu'il aménage la vision pour donner au moment une amplification supérieure, une empathie maximale. Je n'avais jamais assisté à un tel phénomène d'excitation collective provoqué par la Coalescence.

e le regarde travailler. Si je ne me trompe pas, il faisait partie des nouvelles recrues, il y a quelques années de cela. Je me creuse les méninges pour me souvenir de son nom. Tosk ? Non, plutôt Nosk, si mes souvenirs sont bons. Il n'avait pas selon moi le tempérament d'un soldat, au départ. Le retrouver à ce poste clé était donc autant une surprise qu'une évidence. Il avait cette tendance à vouloir contourner les ordres, à faire fi des directives. Mais il excellait quand on lui lâchait la bride ou quand on lui laissait faire appel à sa créativité. Je l'avais vu à maintes reprises lancer des parties de dés dans le mess ou désamorcer des conflits dans les vestiaires, quand la grogne prenait le pas sur la bonne humeur de la soldatesque. En fin de compte, il jouait beaucoup sur le moral des troupes, en leur permettant de faire retomber la pression. Dommage que son sergent ne l'ait pas vu du même œil...

J'ai l'impression qu'une série de visions envahit mon esprit, comme si chaque membre de ma troupe m'offrait ce qu'il voit, comme un cliché, un instantané : un bout de coque derrière une branche, un bout de mat rouillé dans les rochers, des résidus noirs sur la paroi blanche de la montagne... Mais cette image est chargée d'émotions fortes : de la joie de la découverte à l'horreur de la réalité de cette catastrophe... et je les ressens, je les vis. Nosk accueille tout, et trie, ordonne, coupe et ajuste, comme un chef d'orchestre. Instinctivement, je lui envoie mon affect sur ce qu'il voit. Tous les gens qui sont connectés à cette idée en font de même. Les sentiments s'additionnent les uns aux autres, donnant toujours plus de force à ce tableau, une persistance mentale. Et l'officier capte tout cela pour en extraire une narration. Les visions sur le sujet se télescopent. J'essaie toutefois de maintenir une sorte de filtre, de grille mentale pour bloquer ce flot continu. Je vois l'officier de communication qui sue à grosses gouttes, les veines de ses tempes semblent palpiter à un rythme effréné. Tandis que je lutte pour me fermer à ce déferlement de sensations visuelles et émotionnelles, lui semble au contraire partager le plus d'écrans possibles sur la situation avec tous les Ordis à distance. Je lui lance un regard de travers. Il m'ignore totalement, concentré comme jamais. Nous sommes groggy, mais galvanisés par l'afflux d'émotions positives que suscite la découverte de l'épave.

Ce n'est pas le moment de se laisser happer. Je dois rappeler tout le monde à l'ordre pour éviter que l'on ne tombe dans une sorte de boucle émotionnelle portée par l'événement partagé. J'ordonne à tous de ne plus utiliser la Coalescence pour le moment, de faire taire leurs émissions. L'officier reprend le dessus sur la gestion du flux d'informations, probablement en train de le trier, de l'agencer pour mieux le partager plus tard. Chaque soldat reprend son paquetage et nous fonçons vers la zone de crash. Tout le monde est à fleur de peau. Je sens régulièrement les impulsions de l'officier de communication. Il maintient l'intensité dramatique de l'instant avec son auditoire, qui suit la découverte en direct. Pour ma part, j'ai fermé mon esprit aux communications du Gestalt pour mettre de côté toute source de distraction.

Alors que nous avançons dans la jungle en binômes épars, je tente de ramener le calme et la discipline. Nous sommes à la lisière du Tumulte. Nous devons rester sur nos gardes en toutes circonstances.

C'est Tocsin qui trouve finalement l'épave dans une sorte de clairière créée par sa destruction. La végétation à cet endroit diffère de celle rencontrée jusqu'ici. D'autres espèces de fleurs, d'arbres, de mousses ont poussé ici suite à la catastrophe. Sans doute est-ce dû au fait que le Tumulte a changé la structure du sol, donnant naissance à une autre flore. Une partie non encore recouverte par la végétation est toujours visible après plus de quarante années passées dans la jungle. Étonnamment, la structure est restée d'un bloc. Je ne peux m'empêcher de passer ma main sur la surface, dont l'onyx reflète encore la lumière. Elle est toujours aussi lisse, comme si elle sortait des chantiers de construction. Mesektet avait été bâtie pour durer. Je suis presque aussitôt imitée par mes soldats, tandis qu'une vague de fierté nous submerge. Nosk ne perd pas une miette de la scène, captant du regard tous ces instants volés. Mais l'heure n'est pas à la contemplation, il nous faut avancer.

Après quelques minutes, nous trouvons une faille, une ouverture dans la coque. Prudemment, j'ouvre la voie, Tocsin sur mes talons, alors qu'il s'arc-boute pour passer à son tour. Ma lampe torche éclaire des soutes où des caisses éventrées ou disloquées gisent en vrac avec leur contenu, donnant une idée du choc de l'atterrissage forcé de Mesektet. Des racines ont pris possession des lieux, couvrant la surface et rendant l'avancée difficile. Soudain, ma lampe croise une multitude de faisceaux lumineux. Je mets quelques instants à réaliser que je viens de braquer ma torche sur une série de cristaux qui me renvoient la lumière. Je m'approche : c'est une passerelle entièrement transformée en blocs translucides roses par l'action du Tumulte. Je lève la tête pour voir si on peut emprunter ce qui reste de l'échelle pour accéder aux coursives supérieures et au pont. Avec effroi, j'y découvre la silhouette cristallisée d'une personne, capturée en pleine ascension. J'entends des chuchotements dans mon dos alors que je balaie cette scène avec mon rayon de lumière. Je sens la Coalescence qui tente de m'attirer, mais je devine que c'est l'officier qui vient de retransmettre cette horrible vision sur des canaux confidentiels. Je choisis de changer de chemin.

L'espace d'un instant, je pense à Kojo et à ma hantise de le voir se confronter au chaos du Tumulte. Sur ma gauche, un escalier s'offre à moi. Je grimpe et franchis l'écoutille : tout le couloir est recouvert de fleurs exotiques colorées. Nous avançons dans un tunnel de pétales. Au bout de quelques pas, je bute sur un étrange renfoncement du plancher. Non, pas une simple butée, mais un corps devenu une sorte de massif floral. Je l'enjambe, en me blindant mentalement : il faut que je m'y fasse, des dizaines de membres d'équipage ont été victimes du phénomène durant la tragédie. Nous nous infiltrons dans une salle. De mes souvenirs de jeune recrue, où j'avais scruté pendant des heures les mythiques plans du bâtiment fixés au mur de mon cours d'aéronautique, je déduis que nous sommes proches du poste de commandement, dans la pièce réservée aux transmissions. Ce n'est désormais plus qu'un enchevêtrement de racines et des affleurements de granite. Des formes humanoïdes, mi-végétales mi-minérales, se tiennent assises devant des consoles d'une composition similaire. Des jurons, des cris d'effroi. L'espace d'un instant, je laisse la Coalescence s'activer et mon esprit s'embrasse en suivant la vague de révolte qui agite les autres Ordis connectés à mon flux. Une suite syncopée de gros plans sur les membres mutilés, les visages tordus de douleur pétrifiés pour l'éternité. Certains veulent peut-être y reconnaître un ami, un parent perdu... C'est un cauchemar.

J'exhorte mes équipiers à poursuivre. Déchirés entre tristesse et douleur, ils m'emboîtent le pas avec peine. Nous entrons enfin dans le poste de commandement. Pour moi, ce n'est plus une carte postale, ni une image d'Épinal que je dois convoyer. C'est un rapport que je dois préparer, et mon esprit s'ajuste à cette réalité. Une partie de l'habitacle a sauté, livrant une moitié de la place à la forêt. Des branches de différents arbres voisins se sont créé un chemin à travers les équipements, les consoles, les postes de combat. Le Tumulte a ici fait preuve d'une cruelle créativité. Nous nous faufilons entre les corps végétalisés, cristallisés, pétrifiés... Le vent du Tumulte a soufflé ici. Une main m'agrippe le bras et m'attire sur le côté. C'est Tong, un vétéran féru d'histoire militaire, ancien mécano, si je ne m'abuse. Il écarquille les yeux, la bouche ouverte, en me désignant d'un doigt tremblant une masse granitique à proximité. Je me concentre sur celle-ci, cherchant à comprendre ce que veut me faire découvrir Tong. On peut distinguer deux formes, vaguement humaines. L'une semble frapper l'autre dans le dos avec une sorte de sabre. La silhouette frappée a peut-être des épaulettes d'amiral.. La Coalescence bourdonne : un ouragan de colère déferle.

Traître ! Traître ! Traître !

Je me force à garder l'esprit clair. C'est impossible. C'est impensable. Il n'a pas pu y avoir de tels actes sur la Barque de Nuit. Tout mon groupe lève le poing, vocifère. Je trouve la chose trop énorme. Des images s'imposent à nous, des souvenirs venus de la Coalescence d'autres Ordis. On y voit des visages avec des traits similaires à ceux de l'agresseur présumé dans la pierre. Des noms sont lâchés. Je me rapproche des deux masses, j'en fais le tour à la recherche d'informations, de confirmations, de preuves. Les racines, au sol. Elles ont déplacé les statues de leurs positions initiales. Ce qu'on prenait pour un sabre est en fait une simple excroissance géologique issue de l'œuvre du Tumulte. Et ce n'est pas l'Amiral qui est face à nous, les épaulettes étant également le résultat d'un prolongement minéral. Rien de ce qui a été ressenti n'est vrai.

Il faut juguler le flux des fausses rumeurs.

Je m'approche de l'officier, immobilisé dans sa gestion de la Coalescence. Je l'attrape par le bras et lui montre une par une les preuves de l'erreur commune. Nosk semble un instant interdit. Il paraît dépassé par les proportions de la furie déclenchée par les visions accusatrices. Je m'arrête, je ferme les yeux pour me concentrer et je touche mon Losange pour renforcer ma présence au sein du Gestalt. Je lui impose les images des preuves. Il acquiesce enfin, puis lentement, il reprend la main sur les courants, remplaçant les représentations tronquées et les visualisations de dénonciations dans la Coalescence. Le calme revient, au loin comme dans la troupe. Pour ne pas les laisser en plan, coincés dans leurs pensées, je leur assigne à tous une tâche, histoire de les garder occupés.

Il y a trop de place laissée à l'émotion, et je dois la mettre en sourdine. Même si en fin de compte, c'est compréhensible, dans le contexte de notre mission. Après avoir donné toutes mes consignes, je m'éclipse, accompagné de Tocsin. Je sais où aller. J'embarque Tong avec moi ; ses compétences et ses souvenirs vont m'être utiles. Je me remémore le plan. J'accède au pont principal, où Tumulte et nature ont poursuivi leur mariage absurde... Je prie pour que l'endroit que je cherche n'ait pas trop souffert de mutations. Enfin, nous arrivons dans la cabine de pilotage. Si le miracle n'a pas eu lieu, la place a conservé une partie de sa forme originelle. Je demande à Tong où se trouve la boîte noire, le dispositif qui permet de vérifier ce qui s'est passé au moment de l'accident. Il se gratte la tête, un temps interloqué par ma requête. Puis il me désigne une petite trappe sur le côté d'un tableau de bord partiellement devenu une jardinière. Nous tentons de faire jouer la poignée. Elle s'ouvre sans difficulté. Nous allons pouvoir faire la lumière sur les événements. Je passe la main à l'intérieur, et ne tâte que le vide. La boîte noire a été dérobée... Je saisis la main de Tong pour qu'il n'active pas sa Coalescence. Personne ne doit le savoir jusqu'à nouvel ordre !

Le Gestalt

La Coalescence — la soudure de deux surfaces en contact l'une avec l'autre — est le processus par lequel un esprit lié au Gestalt se connecte à cet espace partagé. Il s'effectue par le biais d'un Losange tatoué sur la peau de son porteur, et qui sert autant de clé que de verrou, car il détient toutes les accréditations nécessaires pour se raccorder ou se couper de ce domaine. Par le biais du Gestalt, les Ordis peuvent instantanément partager des informations, des images, des sensations. Cet esprit-ruche, comme certains le surnomment, est une matrice dans laquelle tous les Ordis peuvent stocker ou consulter des données, comme dans une gigantesque bibliothèque commune, ou bien dépêcher des messages publics ou personnels, dont la réception se signale par le biais d'un système de notifications. Ils peuvent aussi y partager des souvenirs et des expériences sensorielles, ou en recevoir en retour, et ce à travers des flux persistants mais néanmoins filtrables. En touchant son Losange, un individu lié au Gestalt peut augmenter ou atténuer l'intensité du signal. Il peut aussi cibler une personne ou un groupe de personnes grâce à des impulsions plus ou moins focalisées. Par ce biais, c'est un véritable réseau social qui est mis en place, avec une grammaire soigneusement codifiée. Cependant, en marge de cette utilisation communautaire, des canaux spéciaux ont été mis en place à des fins militaires ou bureaucratiques. L'usage militaire, acquis et perfectionné durant toute la période de formation des recrues Ordis, s'articule autour de deux fonctions : le renseignement et la tactique. Le renseignement permet de renvoyer à ses supérieurs ou co-équipiers des informations de reconnaissance et d'espionnage (topologie du terrain, localisation de menace détectée...) par des clichés et des données télémétriques. C'est une impulsion d'émission d'information. La tactique permet d'organiser une unité (ordre, formation, type de déploiement...) par une série d'ordres et de diagrammes. C'est une impulsion de réception d'information. Ces partages d'informations militaires ont le double avantage d'être immédiats, simultanés et silencieux. L'utilisation bureaucratique va plutôt s'orienter vers la recherche, le classement et la hiérarchisation des informations. C'est la fonctionnalité de filtre qui est alors primordiale, et qui nécessite, comme pour la Coalescence militaire, une mentalité particulière et une formation approfondie. Ainsi, la Coalescence bureaucratique permet de "lancer des recherches" à travers le Gestalt, ou des demandes auxquelles les correspondants qualifiés (et identifiés comme tels par le Gestalt) peuvent répondre. De même, les impulsions bureaucratiques peuvent être mises en veille chez le récepteur avant d'être "traitées" par le bureaucrate au moment désiré. Enfin, le Gestalt permet aussi de créer des salons privés dans lesquels des membres peuvent se réunir pour discuter de sujets divers, quand la distance ou le réseau d'Espars installé le permettent.