Le Tourment
Lore
28 août 2024
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Soixante-dix ans après sa fondation, Asgartha connut des heures sombres qui faillirent voir la chute du berceau de l'humanité. En 42 AC, Cwaith avait succédé à Rune, et Ayxas était en passe de reprendre le flambeau de la Haute-Reine, dont le règne avait duré près de vingt-huit ans. Les conditions de vie des Asgarthi s'étaient nettement améliorées sous l'influence de la Kuningatar. Au lieu de poursuivre l'expansion de la nation, elle s'était concentrée sur le renforcement de la colonie existante. Ayxas était son protégé, et tout le destinait à prendre sa suite. Ils avaient élaboré cette stratégie à deux. Elle fit en sorte de préparer la société et la population, et lui était chargé d'étendre plus avant l'aire d'influence de la nation.
Ayxas était aimé du peuple. Beau et charismatique, il faisait en tout temps preuve de compassion et de bienveillance, si bien qu'on disait de lui qu'il était l'enfant chéri d'Asgartha. Quand Cwaith rendit sa couronne, les élections ne furent qu'une formalité, et Ayxas accéda au titre de Kuningas sans laisser aucune chance à la compétition. Son règne débuta sous les meilleurs auspices : il finança les recherches de Jian Lam, le physicien qui étudiait les propriétés de l'Aérolithe ; il commença à envisager une stratégie de peuplement de la presqu'île d'Anthea, échangeant fréquemment avec les caravanes Lyra pour en apprendre davantage sur sa géographie ou son climat ; il aida aussi les Yzmir, les Bravos et l'Ordis à se structurer, leur apportant un soutien logistique ou matériel...
Nul ne sait réellement comment le Tourment a débuté. Par petites touches peut-être, passées dans un premier temps inaperçues, ou bien de manière subite et incompréhensible. Nul aujourd'hui n'en connaît les réelles causes ni les raisons. En 74 AC, Ayxas s'enferma plusieurs mois dans ses quartiers élyséens, où il reçut de nombreux dignitaires, conseillers et analystes... Terré dans son palais, il échafauda un plan. Il fonda tout d'abord le Castigar, une Faction d'Altération affiliée au pouvoir politique, et dont la loyauté allait à sa seule personne. Il créa aussi une école militaire, le Magan, dédiée aux arts de la guerre. Petit à petit, il reprit aux Factions les fonctions sociales, militaires ou économiques qui leur avaient été préalablement confiées, pour les réattribuer à des officines qu'il avait lui-même mises en place.
Ces changements ne furent pas évidents au premier abord. Ils furent progressifs, insidieux. Ayxas était un politicien de génie, un rhéteur de talent, au charme magnétique, à l'autorité naturelle. Petit à petit, il se façonna un cercle de loyalistes, en promouvant certains individus à des postes clés, en en amadouant d'autres par des paroles, des attentions ou des présents substantiels. Pour de nombreux bureaucrates, ses réformes avaient du sens. Les Bravos ne pouvaient pas détenir tous les effectifs guerriers de la nation. L'Ordis ne pouvait pas être le seul garant des arcanes administratifs. Quant aux Yzmir, ils se devaient d'être surveillés. Pendant cinq années, Ayxas fit passer des lois et des décrets, modifia patiemment l'appareil étatique pour disposer de coudées franches.
Les choses changèrent brusquement en 79 AC, lorsqu'Ayxas présenta au Conseil Restreint une motion de censure à l'encontre des Factions. De manière unilatérale, les Bravos et l'Ordis devinrent des regroupements illégaux, et furent sommés de se dissoudre sur ordre royal. Les Yzmir furent priés de se soumettre au Castigar et de leur remettre le fruit de toutes leurs recherches ésotériques... De la même façon, il fut exigé de tous les rassemblements guerriers indépendants qui protégeaient les frontières de Caer Eidos qu'ils déposent les armes et se subordonnent au Magan. Sans crier gare, Asgartha se retrouva sous la coupe d'un régime autocratique, dirigé d'une main de fer.
Les historiens ne savent pas si Ayxas cachait son jeu depuis le départ, ou si des circonstances extérieures avaient fait basculer sa vision politique du tout au tout. Durant les années qui suivirent, le despote se mit en tête de réprimer toute contestation, par la violence s'il le fallait. Rien ne semblait pouvoir apaiser sa soif de contrôle... Les ordres combattants furent dissous les uns après les autres, souvent dans le sang ; les Altérateurs qui refusaient d'intégrer le Castigar furent traqués, enfermés ou éliminés. Ayxas semblait résolu à créer une dictature absolue, où la population marcherait au pas sans poser de question. Mais tandis que sa poigne se refermait de plus en plus sur la société, la contestation se renforçait dans les ombres...
Certains individus, las des exactions commises par leur souverain, créèrent un réseau de lutte clandestine pour mettre un terme à ce climat de terreur. Cette résistance se chargea de mettre de soi-disant traîtres en sécurité, en les exfiltrant vers les caravanes Lyra qui écumaient la presqu'île d'Anthea. Ils protégèrent les dissidents, leur apportèrent le soutien nécessaire pour structurer un semblant d'opposition. Des tracts commencèrent à circuler pour faire le procès des abus et excès du Kuningas, qui manifestait clairement des tendances paranoïaques, voire des épisodes psychotiques d'une violence absolue. Asgartha vivait dans la peur, sous le joug des caprices de son souverain.
En 86 AC, des insurgés prirent d'assaut l'Elysium avec la complicité de certains gardes royaux. Les forces embrigadées du Magan et du Castigar s'opposèrent aux émeutiers, mais elles finirent par être renversées par la coalition des forces rebelles. Les mutins réussirent à percer les lignes de défense ennemies, parvinrent à investir le palais royal... Quand ils pénétrèrent dans la salle du trône, Ayxas était là à les attendre, le teint livide et le visage horrifié. Il les sermonna durement, arguant que leur rébellion allait signer la mort de l'humanité. Il leur affirma que lui savait quels dangers les attendaient au loin, quelles horreurs étaient tapies à la lisière de la raison. Il chercha à les convaincre que tout ce qu'il avait fait était nécessaire à la survie de l'humanité.
Le Castigar et le Magan furent à leur tour démantelés. Ayxas fut quant à lui jugé par un tribunal populaire et condamné à l'exil, la peine la plus sévère du système judiciaire Asgarthi. Les témoins de cet événement virent s'éloigner sa frêle silhouette : celle d'un homme dévoré et consumé par la folie, et que le Tumulte allait emporter. Après que l'ordre fut ramené dans les instances administratives et politiques, on convoqua de nouvelles élections, et c'est Akash qui fut couronné Kuningas d'Asgartha, sans se douter que la lignée des Hauts-Rois n'allait pas tarder à s'éteindre...