La Guerre Fratricide

Suite à l'abandon de Caer Oorun, désormais sous le joug du Kraken, la population délogée dut se trouver une nouvelle terre d'accueil où tout reconstruire. Avec l'aide des instances de la capitale, où ils s'étaient réfugiés, les habitants de la Province Perdue migrèrent vers la presqu'île d'Anthea, où le sol était suffisamment fertile pour leur offrir la perspective d'un nouveau départ. En retour, les autorités signèrent un accord pour qu'un certain pourcentage de la production soit en priorité accordé à la population métropolitaine, qui souffrait intensément de la pénurie de ressources provoquée par l'avènement du Kraken.

C'est dans ce contexte que des myriades de provinciaux émigrèrent vers de nouvelles contrées, encore en grande partie vierges. En vingt ans, de nombreux territoires furent ainsi investis, des Plaines d'Arami aux Hautes-Terres de Nutsuwa. Mais en 146 AC, lorsque l'épidémie de Nifir se diffusa à travers toute la péninsule comme une traînée de poudre, elle fit de grands ravages au sein de ces régions. Et par le biais de contacts commerciaux entre agriculteurs sédentaires et négociants nomades, les trois Clans Lyra qui avaient pour tradition d'arpenter la presqu'île méridionale furent également durement touchés.

C'est dans le cadre de cette crise sanitaire qu'un prédicateur Lyra du nom d'Amahle Kalu se fit connaître, par ses diatribes virulentes envers les "colons" et le patronage des Oneiroï. Depuis Brisingan, il exhorta les Clans Lyra à la révolte, les enjoignant à prendre les armes pour repousser ceux qu'il considérait comme de simples envahisseurs. Encore en proie à la peine d'avoir perdu des proches à cause d'une maladie apportée par les colons, de nombreux sympathisants de tous les Clans se rallièrent sous sa bannière. Pour eux, Anthea était leur foyer, et il leur fallait coûte que coûte chasser ceux qui, année après année, restreignaient leurs circuits de migration, faisaient s’étioler comme peau de chagrin les immensités sauvages.

Dire que cette défiance indubitable n'était pas au goût du pouvoir central était un euphémisme. Face à cette insurrection manifeste, le Conseil des Quatre, rassemblant les dirigeants des Bravos, des Lyra, des Yzmir et de l'Ordis, n'eut d'autre choix que de mobiliser des troupes pour faire taire la rébellion. Les Clans Lyra, pris entre deux feux, durent se rallier à un camp ou à un autre, ou bien proclamer une inconfortable neutralité. Pour les hautes instances gouvernementales, c'était l'idée même de la Concorde qui se jouait en ces instants : autoriser une défection était sans conteste la première pierre de divisions futures. Et c'était quelque chose qu'elles ne pouvaient pas laisser passer.

Si les forces conjointes des Factions dominaient largement celles d'Amahle Kalu, leur ferveur et leur connaissance du terrain leur donna du fil à retordre. Depuis Brisingan, le Caravansérail Lyra, celui qui se faisait appeler le Prophète coordonnait des milices versées dans l'art de la guérilla. Ses prétentions étaient claires : Anthea devait être placée sous la supervision des Matriarches des Clans Lyra ; ses prêches vindicatifs : le Nifir était un châtiment céleste causé par leur collusion avec les Oneiroï. La seule issue était pour lui qu'Asgartha se résigne à ne pas coloniser la presqu'île méridionale, et que le soi-disant culte des Eidolons finisse par disparaître.

Mais il était impossible pour les Asgarthi de transiger face à ces demandes ubuesques. Même les vénérées Matriarches durent proclamer l'hérésie de Kalu, ne pouvant soutenir son insurrection aux accents quasi-religieux. Amahle prônait la discorde, il incitait purement et simplement à la révolte, à la rébellion. Après des années de guerres larvées, les loyalistes du Prophète finirent acculés par une grandiloquente opposition dans les plaines de Cathor-Firi. C'est là qu'ils se préparèrent pour leur dernier combat, leur baroud d'honneur. Quand les forces levées par le Conseil des Quatre déferlèrent, les rangs ennemis furent balayés avec vigueur, avec l'objectif de faire taire l'idée même de la dissension. Kalu fut capturé sur le champ de bataille, et confié à la justice des Matriarches. Brisingan, qui avait abrité les armées rebelles, fut démantelé.

Aujourd'hui encore, nul ne sait ce qu'il advint de ce soi-disant Prophète. Cependant, la ferveur qu'il avait inspirée fit de lui un Oneiros, permettant à ceux qui le souhaitent de faire appel à son Eidolon. Pour autant, ses apparitions sont soigneusement surveillées par les Matriarches, qui ont peur des troubles qu'il pourrait encore causer même après son trépas. Quelles raisons l'ont-elles poussé à s'ériger contre le patronage des alliés oniriques de l'humanité ? Quels secrets a-t-il emporté dans la tombe ? Beaucoup craignent que ses révélations provoquent de nouveaux soulèvements au sein des Clans Lyra, et peut-être même au sein des autres Factions...