La Concorde

Ces retrouvailles furent bien entendu célébrées dans la liesse. Mais très vite, les difficultés rappelèrent les peuples rassemblés à la dure réalité : la rareté des ressources de première nécessité, la concentration des habitants, la rudesse de l'environnement et les flux de Tumulte... tout semblait se liguer pour empêcher l'humanité de bâtir une nouvelle civilisation. Ces embûches exacerbèrent les tensions au sein de la population. Celle-ci avait gardé un fonctionnement communautaire hérité de son passé tribal, et cet état de fait menaçait à tout moment de faire basculer dans le chaos la société tout juste en train de germer.

Les dissensions et les disputes étaient quotidiennes, les rixes nombreuses et de plus en plus violentes. La guerre civile n'était pas loin, tout le monde pouvait le voir. Chacune des Tribus se préparait à devoir affronter les autres pour espérer seulement survivre. Certaines s'organisaient pour prendre le pouvoir par la force, d'autres pour s'arroger le monopole de certaines ressources, et ainsi imposer leur volonté aux autres... Après seulement quelques années de promiscuité, le désastre était déjà aux portes de l'humanité. C'est dans ce contexte explosif que s'ancrent les chroniques historico-légendaires de Rune, le héros qui allait être considéré comme le fondateur d'Asgartha.

Rune était un fervent partisan de la paix, qui désirait plus que tout un peuple enfin uni sous une seule et même bannière. Certes, les difficultés étaient légion, mais il croyait fermement que l'humanité ne pouvait se permettre de sacrifier le rêve d'une nouvelle civilisation sur l'autel de l'adversité. Et pour incarner cet idéal, il ne voyait nul autre que Heshkari, un champion qui s'était distingué à de nombreuses reprises en défendant ceux qui étaient dans le besoin, quels que soient leur origine ou leurs idéaux. En secret, il parlementa avec certains dirigeants des Tribus, négocia avec certains chefs de guerre aux vues plus modérées... Dans l'ombre, il surveilla les agissements de ceux qui prévoyaient de prendre le pouvoir par les armes.

Patiemment, Rune étendit son influence, non en son nom, mais autour de celui de Heshkari. Il rassembla de nombreux sympathisants de tous bords, tous ceux qui étaient plus intéressés par un futur commun que par la perspective court-termiste du pouvoir. Caellach, Tamrat, Aksoy, Heeren... des individus issus de toutes les Tribus se fédérèrent pour empêcher que le sang fût versé. Ensemble, ils devinrent une solide coalition, prête à agir en cas de tentative de putsch ; une alliance visant à couronner Heshkari en tant que premier Haut-Roi — constituant eux-mêmes un Conseil Officiel afin que toutes les Tribus puissent faire valoir leurs prétentions et revendications.

Mais les alliés de Heshkari devaient faire face à une solide opposition venant de ceux qui se nommaient eux-mêmes les Barons : Balram Kasun de la Tribu du Levant, Cilistro Tighe de celle du Couchant, ou encore Ainara Aldana de celle des Rives inférieures... des cheffes de gangs et des leaders charismatiques bien décidés à ravir le pouvoir pour la survie et la suprématie de leur peuple. Lorsque Cilistro mobilisa ses effectifs, Balram et Ainara en firent de même, prêts à en découdre et à asseoir une bonne fois pour toutes leur souveraineté. Alors qu'ils se dressaient sur le pré qui deviendrait plus tard la Kuningasplatz, les forces de Heshkari les encerclèrent en leur imposant un ultimatum. Les gangs devaient déposer les armes, pour qu'une solution pacifique puisse être mise en œuvre.

Mais les Barons n'étaient pas enclins à laisser Heshkari leur dérober le pouvoir. Ils voyaient en lui un rival, un chef de guerre motivé — tout comme eux — par l'ambition. Les discussions étaient en passe d'aboutir sur une impasse... Déjà, la poigne des belligérants se refermait sur le pommeau de leur arme. La violence était sur le point d'éclater de nouveau. Mais c'était sans compter sur un nouveau miracle. Depuis les hauteurs de l'Acus, une silhouette incandescente plongea vers les combattants. Elle tournoya au-dessus de la mêlée, étendant ses ailes enflammées. En cet instant, elle semblait ravir l'éclat du Soleil pour s'en imprégner. C'était le Phénix de leur vision, de leur augure.

L'Oiseau de Feu, contre toute attente, ne se posa sur aucun prétendant au trône. Il se percha sur l'épaule de Rune, signifiant à tous sans équivoque que leur souverain avait été désigné par son entremise. Une couronne de feu cercla le front de Rune, gravant sa peau d'une marque indélébile. Heshkari fut le premier à plier le genou, suivi de Caellach. Par la suite, tous en firent de même devant ce signe incontestable de royauté. Rune devint ainsi le premier Kuningas, le Haut-Roi de la nation en train de se constituer.

L'une des premières actions de Rune fut de décréter la Concorde, un acte par lequel toutes les Tribus acceptaient de se lier au sein d'un seul peuple. Comme des rivières, elles avaient convergé vers ce lieu et se mêlaient désormais en un seul fleuve. Comme convenu, il manda autour de lui un Conseil Restreint pour le conseiller et, si nécessaire, remettre en question ses décisions. Heshkari, Caellach, Tamrat, Aksoy, Heeren furent bien entendu nommés, aux côtés de Tighe, Aldana et Kasun. Rune ne voulait pas être le dirigeant d'une partie seulement des rescapés, mais de tous. Ces conseillers devinrent ceux que les légendes nomment aujourd'hui encore les Chevaliers Runiques.

Par la même occasion, pour servir d'écrin à la nouvelle civilisation humaine en train d'éclore, Rune fonda la nation d'Asgartha. C'était le nom de leur nouveau foyer, de leur pays : quelque chose dont ils devaient prendre soin ensemble, quelque chose à défendre contre l'adversité du monde. C'est cette date fondatrice qui a été choisie pour être l'an un du calendrier Asgarthi. Le sigle AC, pour "Anno Concordiae", fut choisi pour servir de système de datation, en hommage à la Concorde — ce rassemblement des peuples sans lequel Asgartha n'aurait pas pu voir le jour.