Sigismar & Wingspan

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  • Lore

  • 5 février 2024

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Enfant déjà, il serrait les poings, la mâchoire crispée. Il voyait bien que les adultes le regardaient de travers et empêchaient ses amis de venir chez lui, évoquant de fallacieux prétextes. Il ne peut pas aujourd'hui. Peut-être un autre jour ? Mais ce jour ne venait jamais. Qu'importe la fortune de sa famille, le palazzo opulent dans lequel il vivait, ses bonnes manières ou bien son éducation... il était irrémédiablement considéré comme une mauvaise fréquentation, une mauvaise graine. Il faisait toutefois bonne figure face à ces refus répétés, répondait posément que ce n'était pas grave, que la porte de sa maison était toujours grande ouverte. Sous ses boucles blondes, il s'évertuait à garder un sourire de façade. Mais intérieurement, il avait envie de hurler, de crier de tout son saoul.

Il avait pris conscience très tôt de l'opprobre qui pesait sur lui et sa lignée. Il pouvait le lire dans les silences feutrés mais évocateurs des autres nobles, dans le regard appuyé de certaines dames de cour. C'était comme un poids qui pesait en permanence sur leurs épaules, comme une langueur qui ne voulait jamais les quitter. Ce rejet était partout : dans ses fêtes d'anniversaire désertes et policées, entourées des seuls domestiques ; dans les cours de récréations, comme une barrière que les autres enfants ne pouvaient pas enjamber. Mais Sigismar refusait de courber l'échine. Il se tenait droit, endurant la solitude et l'exclusion, comme son père le lui avait ordonné.

Sa lignée, remontant jusqu'à Ayxas, troisième Kuningas d'Asgartha, était tristement célèbre. Elle était présente dans tous les livres d'histoire, même les moins documentés. Son ancêtre avait transformé le royaume en un régime tyrannique, faisant abondamment couler le sang, persécutant les habitants du Protectorat quand ce dernier n'était encore qu'une ville étendue... Qu'importe le temps écoulé, ce lourd héritage était comme un stigmate sur sa chair, que rien ne semblait pouvoir laver. Il avait pleuré en découvrant ce passé lointain, mais son père lui avait intimé de sécher ses larmes, de faire de ce legs une force, et non une faiblesse.

Ce fardeau, son père en avait fait sa marque de fabrique, la clé de voûte de son influence. Il avait détourné le dégoût et la peur qu'il inspirait pour les utiliser à ses fins. Politicien acharné, il avait intégré les corps diplomatiques, non pour agir avec bienveillance, mais au contraire pour contraindre à l'action par l'intimidation et la duperie. Il répétait sans cesse que les gens tels que lui avaient une utilité, qu'ils étaient nécessaires pour qu'un système politique puisse perdurer. Ce n'était pas un hasard si de nombreux Chambellans de l'Astérion avaient été nommés au sein de sa famille. Sa dynastie avait une réputation tenace : celle d'être composée d'individus prêts à user de tous les stratagèmes pour parvenir à leurs fins, et capables de prendre à bras le corps des problèmes épineux sans crainte de se salir les mains.

À ses débuts, Ayxas avait été un monarque patient et bienveillant. Rien ne laissait présager son basculement dans la folie. Il avait été choisi par la population asgarthi pour son tact et ses valeurs morales au-delà de tout soupçon. Il avait été un souverain aimant et aimé. En lisant et relisant les chroniques des historiens, Sigismar ne comprenait pas comment un individu si droit et si juste avait pu laisser la place à une despote si impitoyable. Était-ce quelque chose qui coulait dans leur sang, comme certains aimaient le clamer haut et fort ? L'infamie était-elle gravée au plus profond de leur cœur, comme une marque indélébile ? Sigismar ne pouvait tout d'abord s'y résoudre. Mais plus le temps passait, plus une rage froide grandissait en lui, plus l'injustice taxait son âme et écornait son indulgence.

Bien entendu, il ne manquait de rien. Même si son père travaillait tard dans les corridors du palais du Basileus, sa mère le chouchoutait en le couvrant de présents et cédait au moindre de ses caprices. Pour autant, ces cadeaux avaient un prix, une contrepartie évidente : il devait chaque jour s'exercer à l'étiquette, aux leçons de solfège et de musique, à l'éloquence et la rhétorique, aux cours d'histoire et de sciences. Dès qu'ils le purent, ses parents l'inscrivirent à des cours privés en compagnie d'autres enfants de la noblesse. Mais là encore, c'était le même ballet de railleries et de remarques à peine voilées. Pire, c'était au tour des enfants de s'en prendre directement à lui.

Et les précepteurs n'étaient pas en reste. Eux aussi s'en donnaient à cœur joie quand l'occasion leur en était donnée, par le biais de petites phrases aussi acerbes qu'assassines. Mais fort heureusement, tous ne se montraient pas aussi odieux. L'un de ses instructeurs, Kadri, le prit sous son aile, sans s'appesantir sur son extraction ignominieuse. À ses yeux, les enfants n'étaient nullement responsables des péchés de leurs parents, et ils avaient le droit et le devoir d'exister par eux-mêmes. À tout moment, ils pouvaient faire fi du passé dans l'optique de se réinventer. Ils n'étaient jamais condamnés, à la naissance, à reproduire les erreurs de leurs aïeux. Avec tolérance, Kadri l'amena à réaliser qu'il pouvait changer les choses s'il le souhaitait.

Sur son temps libre, Kadri lui apprit les rudiments de l'Altération. Cette faculté était par essence la perspective de changer le monde, de rejeter la fatalité, et par extension, de maîtriser les idées. Sigismar se passionna pour les Glyphes et leur utilisation, toujours en secret, pour que ses parents ne remarquent pas son intérêt grandissant pour cette discipline. Et comme l'avait anticipé Kadri, plus Sigismar domestiquait ce pouvoir, plus il parvenait à dompter ses propres sentiments et émotions. Le temps aidant, il toucha du doigt une certaine paix intérieure, qu'il n'avait jamais connue jusque-là.

Par la même occasion, le jeune homme prit conscience qu'il avait été toute sa vie durant l'esclave de sa situation. Toute sa famille vivait le crime de leur ancêtre comme une malédiction qu'elle se devait d'embrasser pour tolérer sa condition. Mais ce faisant, elle s'enfermait dans le même schéma, empêchant la blessure de guérir véritablement. Et Sigismar voulait briser la roue de la fatalité une bonne fois pour toutes. Il voulait balayer le passé pour reconstruire, au lieu de subir le poids d'un héritage qui n'avait plus aucun sens à ses yeux.

L'Effort de Redécouverte résonna pour lui comme une chance de faire table rase du passé et de repartir sur des bases saines. Loin d'Asgartha, il pourrait se faire un nom par lui-même et pour ses propres actions. Avec cette ambition en tête, il décida de quitter son office de clerc et de s'engager au sein des forces d'exploration, pour mettre un terme au cercle vicieux qui vilipendait sa famille depuis des siècles. Il s'enrôla au sein de l'Ordis pour embrasser une carrière militaire, rêvant d'anonymat, de n'être plus qu'un simple maillon dans la chaîne. Mais c'était sans compter sur l'intervention inopinée de son père.

Alors qu'il était stationné sur les hauteurs du Rempart, Sigismar fut convoqué dans les bureaux du colonel de sa brigade. À sa grande surprise, son père était là, et écarquilla les yeux quand il découvrit qu'il avait fait fléchir la hiérarchie militaire pour obtenir la dispense de son fils. Il avait eu quelques années pour apprendre la rigueur militaire, ce qui pouvait toujours servir au sein du gouvernement. Mais Sigismar se devait dorénavant d'embrasser sa carrière politique, non de s'acoquiner davantage avec ce qu'il appela alors dédaigneusement la plèbe.

Sigismar contesta sa décision, intimant aux autorités de la citadelle de revoir leur jugement. Mais son père avait fait appel aux plus hautes instances de l'Astérion, et la Faction était pieds et poings liés dans cette affaire. Las et écœuré, Sigismar traîna des pieds pour aller récupérer son barda dans son dortoir, réprimant ses larmes et bataillant pour maintenir en vie l'espoir que son père cherchait implacablement à étouffer. Entouré de deux soldats chargés de le raccompagner à la sortie, il empaqueta son uniforme et le reste de son équipement, pestant intérieurement sur l'insensibilité de son père.

Sig demanda à l'état-major de l'Aegis si Kadri pouvait devenir son instructeur attitré pour tout ce qui concernait l'Altération. Il fut aussi entraîné quotidiennement au maniement des armes par les meilleurs Eidolons, de Jeanne d'Arc à Bedivere, en passant par Robin des Bois. Mais avant tout, le jeune paladin se distingua par son talent à mener les hommes et les femmes au combat, à motiver les troupes face à l'adversité. Du haut de son griffon, devenu son Alter Ego et sa fière monture, Sigismar suscite désormais l'admiration de ses pairs et de son régiment. Après des années de préparation, il peut enfin se regarder dans la glace, désormais considéré pour ce qu'il est, et non pour sa simple ascendance.

Mais secrètement, Sigismar rêve de faire la lumière sur les agissements d'Ayxas. Ce dernier avait proféré une malédiction lors de son exil dans le Tumulte, décrétant que l'humanité n'était pas prête à faire face à ce qui y était tapi. Il avait lancé une dernière menace avant que sa silhouette ne disparaisse au loin, sous-entendant qu'un ennemi frapperait un jour Asgartha pour briser une bonne fois pour toutes la civilisation humaine... Qu'avait-il voulu dire par là ? Quelles avaient été les raisons de sa folie et de sa déchéance ? Durant son temps libre, Sig parcourt de vieux grimoires à la recherche d'indices, de témoignages plus substantiels. Mais jusque-là, rien de concret n'a émergé, comme si quelqu'un avait délibérément effacé ces faits des livres et des manuels. Lorsqu'il marchera sur Caer Oorun, peut-être pourra-t-il y trouver des tomes préservés, relatant son histoire avec plus d'exactitude ? De cette façon, il espère laver entièrement son nom et s'arroger une rédemption totale, que rien ni personne ne pourra remettre en doute.