Sierra & Oddball
Lore
1 février 2024
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Si son atelier est un joyeux tohu-bohu de plans, d'outils et d'instruments amoncelés, elle s'y retrouve avec une aisance déconcertante. On la décrit comme une orfèvre, et ses mains délicates œuvrent méticuleusement, avec la précision d'un horloger, pour fabriquer et assembler, façonner et confectionner. Pour ce faire, elle peut compter sur l'aide d'Oddball, un drone de sa conception qui a pris vie après avoir été confronté aux courants du Tumulte. Mais au-delà de ses compétences en ingénierie, Sierra est aussi une Altératrice de talent, devenue experte dans la manipulation des Constructs, ces modules qu'utilisent les Axiom pour maîtriser l'Altération. C'est grâce à tous ces atouts qu'elle a été sélectionnée pour servir d'avant-garde au sein des Corps expéditionnaires.
Mais au départ, rien ne la prédestinait à embrasser une telle carrière. Née au sein d'une caravane Lyra, elle suivait son père Efrén de ville en ville, menant une existence nomade. Ce dernier s'occupait d'un petit théâtre d'ombres au sein de sa troupe, régalant les enfants d'histoires de princesses et de héros d'antan, de fables et de contes venus du fond des âges. Elle écoutait son père parler de villes mythiques : Madrid, Venise... mais aussi celle que l'on appelait la Cité de Lumière. Quand elle n'aidait pas son père dans les étroites coulisses à bouger fils et lumières, silhouettes et décors, Sierra regardait le public, s'émerveillant des visages des enfants, tour à tour joyeux, tristes, inquiets ou hilares...
Si certains Lyra avaient réussi à atteindre la limite de la singularité, d'autres n'avaient pas eu cette chance. Heureusement pour eux, Sierra et Efrén étaient en passe de se mettre à l'abri. C'est alors qu'une terrible douleur remonta le long des jambes de la jeune Lyra. Elle tomba face contre terre, luttant pour ne pas perdre conscience. Elle vit le regard horrifié de son père tandis qu'il la tirait par les bras pour la mettre en sûreté. En tournant le regard, elle vit qu'elle avait marché dans une mare du Tumulte, et que ses jambes étaient en train de muter de façon chaotique. Sa jambe gauche se liquéfia en une traînée de galets, qui continuèrent de s'éparpiller et de se transformer. Sa jambe droite, quant à elle, s’était en partie transmutée en bois noueux, d'où fleurissaient des plumes bariolées et des clous rouillés. Elle hurla jusqu'à ce que l'obscurité l'emporte.
Elle se réveilla bien plus tard, la gorge parcheminée et l'esprit fiévreux. En soulevant les draps, elle vit qu'il n'y avait plus rien à la place de ses jambes, hormis des moignons entourés de bandages nauséabonds. Elle se mit à paniquer, à crier, à sangloter, sans que l'étreinte de son père ne parvienne à la consoler. Elle resta de nombreuses semaines ainsi alitée. La Sahanka du Clan khamsin était venue leur porter secours, mais malgré leur acharnement, les guérisseurs du Clan n'étaient pas parvenus à sauver ses jambes. Ils avaient dû se résoudre à amputer les zones atteintes, leur intégrité ayant été entièrement compromise par le Tumulte. Efrén fit tout son possible pour la nourrir, pour masser ses cuisses douloureuses avec des onguents. Il l'écouta gémir, hurler face au monde, se morfondre... mais il ne l'autorisa pas à dépérir. Et un jour, il la porta au-devant de la loge qui leur avait été prêtée pour qu'elle puisse de nouveau contempler le ciel.
Mais cette joie fut accompagnée de nouvelles souffrances. Celle de voir les autres enfants jouer dehors, sans qu'elle ne puisse les rejoindre. Celle de ne pas pouvoir se mouvoir librement. Efrén tenta par tous les moyens d'occuper son esprit : en lui demandant de l'aider à reconstruire son théâtre, de sculpter et peindre de nouvelles marionnettes... Même si elle acceptait le plus souvent, toutes ces activités ne lui apportaient aucun plaisir. C'est alors qu'un jour, son père la réveilla aux aurores pour lui demander de s'habiller. Il la prit dans ses bras et la porta tout au long du périple. Elle vit une cité industrieuse en contrebas de la Sahanka. Celle de Verbera, située en bordure de la Muir Concordia. La ville semblait à la fête, et de la musique résonnait au sein de ses rues. Il y avait des fanfares, des défilés, des parades et des chars...
Efrén lui annonça qu'ils étaient ici pour lui trouver une chaise roulante, ou tout artifice lui permettant de regagner un semblant d'autonomie. Et quel meilleur moment que le Prodigium pour dénicher quelque chose de cet acabit ? L'Exposition Universelle de l'Axiom débordait de machines fascinantes, de merveilles mécaniques incroyables. La foire était un fourre-tout de bric et de broc, de spectacles et de présentations toutes plus folles les unes que les autres. Elle y découvrit de nombreux prodiges scientifiques : les fascinants et terrifiants arcs de plasma kélonique, des grues articulées capables de soulever des poids gargantuesques, le tout dans un déluge de fumées et de vapeurs chuintantes. Tous ses sens étaient de nouveau en éveil, essayant d’assimiler toutes ces prouesses.
Quand ils arrivèrent dans l'atelier du prothésiste, ce dernier les accueillit chaleureusement. Il écouta longuement Sierra, avec une expression de commisération. Puis il s'excusa un instant, avant de revenir avec diverses prothèses, de la plus simple à la plus complexe. L'artisan, dénommé Hamisu, leur parla de ces Greffes, dont les plus perfectionnées répondaient à la volonté de leur porteur. Mais leur coût était prohibitif, et Efrén ne pouvait se permettre que des appareils rudimentaires. Cependant, lorsque le prothésiste attacha les lames de course aux cuisses de Sierra, cette dernière se mit à espérer. Pouvoir de nouveau marcher, et peut-être courir... Après quelques ajustements, elle fut en mesure de faire ses premiers pas. Et bien que chancelants, le simple fait de se tenir debout lui fit monter les larmes aux yeux.
Ils passèrent le reste de la journée à profiter du Prodigium et de ses miracles techniques. Ils assistèrent au défilé des chars, chacun exhibant de nouvelles créations de l'Axiom : des nouveaux modèles d'airships, des projecteurs d'images, des recycleurs de matériaux... Ils mangèrent des glaces sur la grève, regardant au loin, de l'autre côté de la mer, la silhouette lointaine d'Arkaster, la capitale d'Asgartha. Mais ce qui captura le plus son imaginaire était une simple babiole, exposée dans la vitrine d'un magasin. Une poupée à la silhouette effilée, pas plus haute qu'une main, qui répétait en boucle quelques pas de danse. Elle la regarda, subjuguée, stupéfaite par sa grâce mécanique, sidérée par la précision de ses gestes...
De retour à la caravane, elle se mit à imaginer de nouveaux outils pour agrémenter les spectacles de son père. Pourquoi ne pas utiliser les rouages et les pistons pour manœuvrer les pantins ? Pourquoi ne pas faire usage de poudre et de fumée pour impressionner davantage leur audience ? Chaque jour de leur halte en Verbera, elle alla trouver Hamisu pour qu'il lui apprenne deux ou trois nouvelles choses sur la mécanique, la pyrotechnie ou les batteries kéloniques. Efrén profita de ce séjour pour finaliser leur nouvelle roulotte, et fit en parallèle de nombreuses représentations en ville pour financer ses travaux. L'objectif était de repartir le plus vite possible une fois le Clan remis sur pieds, mais quelque part, Efrén se doutait de ce qui allait arriver.
Plus le jour du départ approchait, plus la mine de Sierra se renfrognait. Même s'il n'était pas entièrement d'accord avec la démarche — il pensait que tous ces ajouts nuisaient à la simplicité de son art — il avait accepté que sa fille fabrique une machine à fumée ou des projecteurs d'étincelles ou d'effets visuels pour accompagner ses pièces. Il voyait bien que la jeune fille avait un talent pour ces choses, même s'il n'était pas aussi enthousiaste qu'elle à leur sujet. Un soir, il alla lui-même voir Hamisu, pour lui demander de parrainer Sierra au sein de l'Axiom. Le vieil homme accepta sa requête, si c'était vraiment quelque chose que la jeune fille souhaitait du fond de son cœur.
Au matin, après avoir aidé Sierra à poursuivre sa rééducation, il lui demanda de s'asseoir avec lui devant une tasse de café. C'est à ce moment qu'il lui proposa d'intégrer l'Axiom, si elle voulait continuer son apprentissage technique. Elle était bien entendu libre de le suivre quand il partirait, pour reprendre leur vie là où ils l'avaient laissée. Mais Efrén avait l'impression que ce qu'elle avait découvert ici avait donné un nouveau sens à sa vie. Des larmes coulèrent sur les joues de Sierra, et elle enlaça son père. Et même si elle prit le reste de la journée pour y réfléchir, tout était déjà clair dans son esprit. Oui, ce serait un déchirement, et son père allait terriblement lui manquer, mais la perspective de pouvoir continuer à construire et fabriquer l'emplissait de joie.
Quelques jours plus tard, elle prépara son sac à dos et serra une dernière fois son père dans ses bras. Père et fille pleurèrent à chaudes larmes, et Efrén lui promit qu'il viendrait la voir chaque fois qu'il repasserait aux environs de la capitale. Elle resta longuement à regarder la caravane s'éloigner, jusqu'à ce qu'elle disparaisse à l'horizon. Puis elle se retourna vers la cité, l'atelier d'Hamisu, et la gare qui allait la mener vers la capitale. Le prothésiste lui apprit toutes les bases qu'elle était censée connaître pour prétendre au statut d'Apprentie. Il lui parla des propriétés du Kélon, des bases de la programmation, lui montra comment fondre le métal, utiliser telle ou telle machinerie.