
Lettre à Efrén

Lore
24 avril 2025
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393 AC
Les mains tremblantes, Efrén décachette l'enveloppe mouchetée de boue séchée et d'anciennes traces d'humidité. Il a immédiatement reconnu son expéditrice, bien entendu. Au premier coup d'œil. Le cœur gonflé, il ouvre la lettre, qui a été maltraitée par les éléments, tandis que le postier du Talaria enfourche sa monture et l'éperonne sans tarder. Le souffle court, au son du galop du cheval qui s'éloigne, il commence à déchiffrer cette écriture qu'il connaît si bien, mais dont quelques mots épars ont subi l'assaut de la pluie et d'un transport quelque peu cavalier...
Cher papa,
Je t'écris alors que le Tumulte sévit autour de notre Oasis. Mais pas d'inquiétude, nous sommes à l'abri, bien en sécurité au sommet d'une montagne enneigée. Nous profitons que les courants tumultueux soufflent au-dehors pour nous reposer. Et nous en avons bien besoin, après toutes les galères que nous avons dû endurer les semaines précédentes. Nous avons bien mérité un petit répit avant de repartir à l'assaut de l'inconnu. Alors j'en profite pour travailler sur de nouveaux designs d'Automates, et aussi m'intéresser à la région dans son ensemble.
L'analyse extensive des sols a montré que le Cais Adarra, et a fortiori tout le Storhvit, bénéficiait il y a à peine un siècle d'un climat beaucoup plus tempéré, proche de celui qui a actuellement cours au sein des Steppes Penchées de Caer Oorun. Cela veut dire que quelques décennies auront suffi à transformer ce territoire autrefois verdoyant en région polaire. L'étude approfondie des sédiments et des formations géologiques montre que le processus a été soudain. L'Altération pourrait même avoir été utilisée pour façonner ces étendues arctiques.
En procédant à des fouilles autour du Nilam, nous avons révélé des traces d'occupation humaine, antérieure à la glaciation. Outils rouillés, habitats troglodytes, restes de tissus et de vaisselle... tous les indices sont réunis pour avancer qu'une société humaine s'était établie ici, à l'ombre de l'arbre-monde. D'après les premières estimations, cette présence date d'il y a au moins deux cents ans, soit bien après la Confluence. C'est donc la preuve que d'autres communautés humaines ont survécu au sein du Tumulte, bien après la fondation d'Asgartha.
Pourtant, tout indique que cette colonie — l'estimation suggère que plusieurs centaines d'individus vivaient ici — a été désertée préalablement à l'avènement de la période glaciaire. Mais le plus étonnant dans tout ça, c'est l'avancement technologique de cette communauté. Bien avant la Révolution Industrielle Axiom, ce peuple avait réussi à développer des merveilles techniques incroyables. Et nous parlons bien de centaines d'années d'avance technologique. Il suffit, pour preuve de cet état de fait, d'examiner la machine que nous avons retrouvée prisonnière de la glace. La science qui a permis de construire cet appareil dépasse de loin, pour ma plus grande fascination, celle qui est à notre disposition actuellement.
Une fois tiré hors de la glace, nous avons pu analyser sa composition. L'alliage qui a été utilisé pour le bâtir est incroyablement résistant, et ne correspond pas aux matières que nous avons l'habitude de trouver en Asgartha. Par ailleurs, toute sa surface est parcourue de rigoles creusées à même le métal : un réseau interconnecté de sillons qui lui donne une apparence à la fois archaïque et organique. Pour autant, nous avons bien en face de nous un engin mécanique de la plus belle des factures, aussi fonctionnel que polyvalent. Il y a encore beaucoup de choses qui demeurent inconnues à son sujet, notamment des cavités internes dont nous ne comprenons pas l'utilité.
Hormis les prouesses d'ingénierie qui composent ce robot, le plus étrange dans son design est l'absence d'alimentation énergétique. Il est clair qu'il n'utilisait pas le Kélon pour fonctionner, ni les sources d'énergie alternatives que sont le charbon, le pétrole ou l'électricité. En intégrant des modifications de notre cru, nous avons réussi à activer quelques-uns de ses systèmes, mais la machine est extrêmement énergivore dans cette configuration, et nous allons devoir continuer à l'étudier pour optimiser son rendement. Rien que son moteur pourrait grandement améliorer l'autonomie de nos Automates : ses pistons, soupapes, culasses, valves, vilebrequins... À première vue, tout pointe en direction d'une gestion d'un liquide quelconque, comme un cœur. Mais il n'y a aucun système d'allumage ou de combustion.
Qui était donc ce peuple ? Étaient-ils les héritiers de la Tribu Perdue, ou bien d'autres Nomades du Tumulte ? Comment ont-ils pu péricliter malgré toute cette avance technique ? À première vue, ils ont été forcés d'émigrer. Peut-être continuent-ils d'arpenter le monde à la manière de nos ancêtres ? Avec un peu de chance, nous allons pouvoir les rencontrer durant notre périple. J'ai hâte de faire leur connaissance et d'échanger avec eux sur tous ces sujets. Mais je t'embête avec tout mon blabla technique. Je voulais juste te partager mon enthousiasme vis-à-vis de toutes ces trouvailles. Elles me rappellent à quel point nous ne connaissons rien du monde, à quel point nous avons encore tout à découvrir.
J'espère que tout va bien au sein de la caravane. Je t'embrasse très fort et attends ton courrier avec impatience !
P.-S. Embrasse Faarsan et Argiris de ma part ! Dis-leur que je compte sur eux pour bien te seconder (et qu'ils vont m'entendre s'ils font encore l'école buissonnière) !
Ta fille qui t'aime
S.
Une larme coule sur la joue d'Efrén. Elle lui manque. Elle lui manque tellement. Il se rend soudain compte des lieues qui les séparent désormais, une distance qui ne ferait que grandir au fil des jours, des semaines, des mois et des années. Il ferme les yeux, et essaie de l'imaginer au loin, là-bas, au sein des terres hostiles et tourmentées. Son cœur se serre. C'est comme si un océan les séparait...