Kojo & Booda
Lore
2 février 2024
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Même tout petit, on disait de Kojo qu'il était un casse-cou, une pile de Kélon toujours survoltée et prête à faire des galipettes. Sa mère, Tehea, était une menuisière de talent de la Guilde du Bois, spécialisée dans la marqueterie de luxe. Son père, Yawo, tenait quant à lui une petite supérette de l'enseigne Cornucoopia. Sa grande sœur, Gulrang, était l'opposée de lui, si austère, si dénuée d'humour... Très tôt, son père lui demanda de livrer certaines courses pour parer à des urgences ou pour aider des personnes âgées qui avaient du mal à se déplacer. Et cela lui convenait très bien. Il en profitait pour retrouver ses amis et explorer les ruelles tentaculaires de la capitale.
C'est donc tout naturellement qu'il postula, quand il fut en âge de le faire, au Talaria, le réseau postal d'Asgartha. En tant que livreur, il passait sa journée à arpenter les rues, à gravir les sentes escarpées d'Arkaster. Et surtout, à rencontrer des gens, à parler et échanger avec eux, comme il le faisait déjà enfant. On lui confiait souvent des colis urgents, et il s'amusait à se fixer des limites de temps, à battre ses propres records. Et les midis, il avait pris l'habitude de manger un sandwich en regardant la mer scintillante, à imaginer ce qui se trouvait au loin, au-delà de la Première Cité. Et pas seulement Asgartha, mais bien au-delà de ce que ses frontières pouvaient contenir...
Comme bon nombre de gamins, le héros de Kojo était Rune, le premier Haut-Roi d'Asgartha. C'était lui le premier Kuningas, celui qui avait fondé leur civilisation. C'était le plus grand guerrier de l'histoire de la péninsule, l'explorateur le plus intrépide. Il avait entendu Venka, un client et ami de son père, parler de la prophétie qu'il avait décrétée avant sa disparition, il y a des siècles de cela. Celui qui le retrouverait serait considéré comme son héritier. Celui qui parviendrait à le rejoindre dans le Tumulte serait son successeur. Durant ses pauses, il s'imaginait être cet élu, qui mènerait Asgartha encore plus loin, vers les quatre coins du globe... Mais bien sûr, pour l'instant, c'était hors de sa portée. Quand il avait fini de rêvasser de la sorte, il se remettait en route, et ce parfois jusqu'à la tombée de la nuit, remisant ce rêve dans un coin de sa tête.
Au cours d'un après-midi ensoleillé, alors qu'il montait la longue pente reliant les quartiers maritimes aux hauteurs de la ville, il vit des ombres sauter au-dessus de sa tête. Intrigué, il monta sur un parapet pour regarder les voltigeurs descendre de toit en toit, avec une agilité folle, vers le bas de la cité. C'est alors que son cœur se mit à tambouriner fort dans sa poitrine. Émerveillé, il les regarda exécuter des cabrioles, glisser sur les tuiles brûlantes, s'accrocher aux gouttières... Il vit aussi qu'ils utilisaient l'Altération pour faire des figures improbables et créer du néant toutes sortes de choses — pylônes de pierre, pontons de bois, toboggans de verre... — pour servir de prises, d'appuis ou de raccourcis.
En remontant, il vit que d'autres coureurs avaient pris place sur un toit, et étaient en train de s'échauffer. Il les observa, fasciné et envieux, mais il n'osa pas les aborder ce jour-là. Le soir venu, alors qu'il était étendu dans son lit, essayant de passer outre les ronflements de son père, il se mit à repenser aux silhouettes gracieuses de ces acrobates, à rêver de faire comme eux. Au matin, avant que ses frères et sœurs ne se réveillent, il sortait de la maison et allait courir dans les rues désertes. Il n'y avait aucune chance qu'ils l'acceptent en l'état. Il fallait qu'il se montre digne de leur adresser la parole... C'est ainsi que Kojo découvrit l'Altrun, la discipline qui deviendrait son indéfectible passion.
Après quelques semaines d'entraînement, il estima que sa forme physique était assez bonne pour prouver aux Altrunners qu'il était prêt à les rejoindre. Il se rendit à la bibliothèque pour consulter les archives des compétitions d'Altrun, assista à d'anciens matchs pour s'imprégner des souvenirs capturés de ces rencontres... Il s'initia à l'Altération en demandant à sa mère de lui montrer comment elle l'utilisait pour travailler le bois, se forma lui-même à manifester des idées dans le monde, avec quelques bêtises à la clé. Puis en interrogeant ses voisins, il apprit que les runners changeaient fréquemment de lieux pour varier les parcours, et il se mit à enquêter sur leurs différents spots et repaires.
Le soir venu, ils fêtèrent tous ensemble sa première victoire. Ils passèrent la nuit à discuter, à partager leurs rêves. Carmela fut la première à tirer sa révérence, suivie de peu par Cathal au petit matin. Uju, quant à elle, dormait depuis longtemps sur la banquette du canapé. Kojo était encore sous le coup de l'adrénaline. Gault resta longtemps à parler avec lui... puis il approcha son visage de celui de Kojo pour déposer un baiser sur les lèvres du vainqueur. Kojo se surprit à le lui rendre, à se lover dans son étreinte, à se laisser aller à l'ivresse de l'instant.
Les mois et les années passèrent à la vitesse de l'éclair, au gré de compétitions — officielles ou non — de victoires et de défaites. Kojo était heureux, tout simplement heureux. Les matchs se succédèrent, et la renommée de l'équipe ne fit que s'accroître avec le temps. Même s'ils échouèrent à ravir la coupe, ils parvinrent tout de même en finale de l'Omnium, le championnat annuel de leur discipline. Carmela parlait de potentiels sponsors, de devenir une équipe titulaire... mais plus ils avaient de succès, plus le bonheur de Kojo se muait en une sorte d'angoisse incompréhensible.
Certains soirs, il dînait avec ses parents sur le balcon de leur nouvelle maison en regardant le ballet des oiseaux marins dans le ciel, les yeux toujours attirés par l'horizon. Il se confia à son père sur ce sentiment qu'il n'arrivait pas à cerner. Ce dernier l'écouta attentivement, et lui raconta ce que Kojo disait, quand il était enfant : qu'il serait un explorateur, qu'il participerait à l'Effort de Redécouverte quand il serait grand. Prenant congé, Kojo sortit alors prendre l'air et se balader sur les hauteurs de la ville. Il regarda longuement le ciel étoilé, allongé dans les herbes hautes et drues.
C'est alors qu'il aperçut un scintillement un peu plus loin, comme une brume prismatique qui se dissipait. Kojo s'approcha de la brume arc-en-ciel, conscient qu'il devait rester loin de cette petite singularité du Tumulte. Alors que le nuage irisé disparaissait et qu'il était sur le point de tourner les talons, il entendit un léger miaulement, une complainte ténue presque inaudible à cause du vent. Kojo découvrit, dans un cercle d'herbes affaissées, un petit guépard dont la fourrure était faite de flammes froides. Il regarda autour de lui pour voir si la mère de cette Chimère était dans les parages. Vu que rien ne semblait venir récupérer le bébé, Kojo recueillit l'animal altéré, bien décidé à s'en occuper.
Mais cela n'empêcha pas Gault de faire des pieds et des mains pour que la candidature de Kojo soit acceptée. Il alla voir les instructeurs du Kurung, la caserne de la capitale. Il se rendit au Monolithe pour faire la queue, et s'assurer que le dossier de Kojo était bien pris en compte. Enfin, il prit le temps de rassurer ce dernier : bien entendu qu'il reviendrait, et lui serait là pour l'attendre. Kojo ne devait pas renoncer à son rêve. C'était important qu'il le mène à bien, et c'était également le cas de ses amis. Carmela promit de ramener la coupe. Une fois cela fait, peut-être qu'ils pourraient se porter volontaires et intégrer les Corps expéditionnaires pour se rapprocher de lui...
Quand Kojo annonça à sa sœur qu'il comptait lui aussi intégrer les Corps, Gulrang chercha à l'en dissuader. Selon elle, le Tumulte n'était pas un lieu pour un plaisantin tel que lui. Mais ses amis prirent sa défense, parvenant même à faire fléchir l'opinion de la capitaine de l'Aegis. Kojo essuya quelques larmes, tant il était heureux de pouvoir compter sur de tels amis. Il avait de la chance de les avoir, et qu'ils croient autant en lui. Bien sûr, Carmela le gratifia d'un "bon débarras", soulignant le fait qu'il n'avait de toute façon pas l'étoffe d'un champion d'Altrun. Mais en lui disant au revoir ce soir-là, elle lui révéla qu'elle avait toujours su qu'il avait des prédispositions pour être bien plus qu'un simple runner.
L'année suivante, Kojo et Booda se lièrent grâce à la cérémonie du Musubi. Alors que ses amis disputaient l'Omnium durant l'été, lui s'entraînait sans relâche pour être prêt au grand départ. Le jour de la finale, pourtant, Kojo était parmi les spectateurs. Il n'aurait raté ce moment pour rien au monde. Ce jour-là, quand Carmela souleva la coupe d'Altrun, Kojo jubila, et il laissa des larmes de joie couler le long de ses joues. Et dans son for intérieur, il se jura de faire preuve d'autant de détermination quand il serait dans les étendues sauvages. Il savait qu'il ne serait pas seul au sein de ces immensités. Tous ses amis seraient là à l'encourager, à courir à ses côtés...