Gericht vaan-Brasht

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  • Lore

  • 12 février 2025

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55 AC - 86 AC

Durant le règne paranoïaque d'Ayxas, le Kuningas fou a tenté d'étouffer tous les groupes qui pouvaient constituer une menace à sa souveraineté. Il fit d'abord passer un décret par la force, rendant illégales les quatre Factions existantes, les remplaçant par un ordre unique d'Altérateurs — le Castigar — dont la loyauté allait à sa seule personne. Mais ce fut aussi le cas des confréries combattantes, lorsque le Magan fut promulgué comme seule école de combat autorisée par le pouvoir. Celles qui défièrent cet édit furent réprimées dans le sang sans sommation.

Lorsque ses parents succombèrent à une singularité de Tumulte en 60 AC, Gericht, à tout juste cinq ans, fut confié aux soins de l'école Ugetsu-Fenshen, un monastère isolé en bordure du Vindmark, la frontière orientale de Caer Eidos. Il fut placé sous la tutelle d'un vieil épéiste, Suddran, qui se mit en tête d'endurcir coûte que coûte le jeune orphelin. Passant de l'innocence de l'enfance à une vie monacale d'une rigueur extrême, Gericht eut du mal à s'adapter ; d'une part à l'intransigeance de son nouveau mentor, et de l'autre aux corvées exigeantes, qui ne semblaient pas vouloir s'arrêter de l'aube au couchant.

Mais au fur et à mesure des mois et des années, il en vint à s'habituer à cette rudesse quotidienne, à se lier d'amitié avec ses camarades d'infortune — d'autres orphelins venant de tout le Protectorat. Il y avait une certaine quiétude dans cette routine immuable : se lever aux aurores pour préparer le repas matinal des disciples, nettoyer les étables et les écuries, et ainsi de suite. Le soir, il écoutait son amie Nadra jouer du luth, et il pinçait parfois quelques cordes quand elle tentait de lui apprendre à jouer de son instrument.

Ce n'est qu'après quatre années de ce régime que Suddran lui annonça qu'il était temps pour lui de devenir disciple à son tour. Dès ce jour, ses journées se transformèrent, et sa routine fut remplacée par une autre bien plus âpre : renforcer son corps et son esprit, s'initier au maniement des lames, ferrailler, et ferrailler encore. Mais cette dureté avait quelque chose d'euphorisant, car pour la première fois, il entrevoyait la possibilité de devenir autre chose qu'un simple laissé-pour-compte, qu'un paria. Il se jeta corps et âme dans cet entraînement, heureux de voir sa chair et sa force d'âme s'aiguiser jour après jour.

Un an après lui, ce fut au tour de Nadra de rejoindre les rangs des apprentis bretteurs. Et au bout de quelques années, il prit conscience qu'il était heureux, lui qui pensait ne plus pouvoir atteindre le bonheur. Mais ce dernier allait être de courte durée. Coupé du monde, le monastère ne voyait pas que la marche du temps allait amener de sombres nuages dans son sillage... C'est en 74 AC que des envoyés du Kuningas s'invitèrent à l'école, portant dans leur bagage l'arrêté royal qui prohibait l'existence même du monastère.

Walela, le Grand Maître de l'école Ugetsu-Fenshen remercia les émissaires pour leur message, mais elle refusa courtoisement la "requête" du Kuningas. C'est à l'aube que vint l'attaque, lorsqu'un contingent entier du Magan déferla sur le monastère. Très vite, les flammes embrasèrent les petites maisonnées, le bois calciné chuintant au contact de la pluie qui commença à tomber. Les moines bataillèrent férocement, leurs lames virevoltant avec grâce, et vague après vague, leurs ennemis se fracassèrent contre le tranchant de leurs épées. Mais comme la roche s'érode devant la houle, leur vaillance se fendilla au gré des heures devant le zèle effréné des assaillants.

Gericht vit de nombreux amis périr devant ses yeux, son vieux maître ployer le genou, tandis que des lances le transperçaient de part en part... Il vit Nadra, blessée, reculer tandis que les flammes peignaient son visage d'un désespoir infernal. Gericht fut le premier à rompre les rangs. Prenant Nadra par le bras, il tenta de la conduire en lieu sûr. Mais les flèches plurent sur eux en un déluge de fin du monde. Il tenta de la protéger, mais ne put l'empêcher d'être mortellement atteinte par les archers adverses. Lui aussi fut dardé de flèches, et laissé pour mort dans les décombres du monastère.

Lorsqu'il reprit conscience, il vit une silhouette féminine se dresser devant lui. Ce n'était pas Nadra, mais l'Eidolon Gunn qui se pencha pour s'occuper de lui, et qui pendant plusieurs jours veilla sur lui au sein des ruines fumantes. Elle était venue récolter l'essence des guerriers tombés au combat, mais était restée à ses côtés en voyant qu'il avait une chance de subsister dans le monde des vivants. Elle voulait lui proposer un pacte : celui de rejoindre les rangs de la rébellion, pour mettre un terme à la tyrannie d'Ayxas. Gericht accepta, autant pour venger ses camarades que pour se faire pardonner sa lâcheté des derniers instants.

Il se recueillit devant les tombes des moines, et laissa quelques larmes choir devant celle de Nadra. Puis il prit son luth, qui avait miraculeusement échappé aux flammes malgré quelques traces de brûlure sur son bois. Mais les flammes continuaient de brûler en lui. Celles de la vengeance. Au sein de la rébellion, Gericht devint un fauve. Il fondait sur les forces du Kuningas comme un lion enragé lors de raids aussi sanglants qu'impitoyables. Il prenait plaisir à défaire tous les adeptes du Magan, à les regarder implorer un pardon que jamais il ne leur offrirait. Au gré de ses exactions, sa légende ne fit que s'accroître.

Il était l'Épéiste aux cinq lames, comme on le nommait parfois avec crainte ou fascination, le dernier représentant de l'École Ugetsu-Fenshen... Son apparence imposante cachait une vivacité déroutante : ses épées tournoyaient avec maestria, virevoltant avec une élégance létale. Dans ses yeux froids et peints de khôl couvait une rage ardente qui ne semblait jamais vouloir s'éteindre. Un à un, il pourfendit les plus adroits spadassins du Kuningas, et à chaque victoire, il devenait davantage l'étendard autour duquel la rébellion se cristallisait.

Quand il ne combattait pas, en revanche, on pouvait parfois l'entendre jouer du luth avec une sensibilité et une dextérité que même certains Lyra auraient pu jalouser. Et lorsque c'était le cas, on pouvait, en prêtant attention, déceler au gré des notes une douce mélancolie, tandis que des larmes coulaient le long de ses joues. Car s'il s'était condamné lui-même à vivre dans la clameur, son âme n'aspirait en réalité qu'au repos. À chaque échauffourée, il défiait la mort. Et au fond de lui, peut-être souhaitait-il qu'elle vienne le ravir.

Lors du dernier assaut contre l'Elysium, le palais du Kuningas, il se tenait au cœur de la bataille, perpétuellement sur le front. Ce fut lui qui tenta de sauver Eskheret ruun-Kurush lorsqu'elle parvint à ouvrir les portes de la forteresse, portant son corps criblé de coups hors du fracas de la bataille. Alors qu'elle succombait à ses blessures, il revécut le trépas de Nadra, ce qui le fit plonger dans une frénésie terrible. Porté par ses lames qui fendaient l'air avec une virtuosité sans faille, il pénétra dans la salle du trône, interrompant tout juste sa folie meurtrière pour épargner Ayxas, avachi au pied de son dais.

Las, il déposa alors ses armes, réalisant que des entailles béantes lacéraient sa chair. Il alla s'asseoir en retrait, fourbu mais serein, laissant aux autres insurgés le soin de gérer la prise de pouvoir. Il sentit peu à peu la vie s'écouler hors de lui, mais n'appela aucunement à l'aide. On ne le trouva là que bien trop tard, un sourire peint sur son visage, comme s'il avait enfin retrouvé un semblant de quiétude... ou peut-être s'était-il mis à sourire quand Nadra vint le chercher depuis l'au-delà. L'Eidolon de Gericht apparut quelques années plus tard au sein d'une école d'escrime, tirant la lame pour tester ses champions. Et chaque école sait encore aujourd'hui qu'elle devra un jour composer avec l'une de ses visites surprises, dans le but de jauger la valeur de ses combattants...