Atsadi & Surge

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  • Lore

  • 21 février 2024

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Ses pas crissent sur le sable tandis qu'il tourne, lame brandie, autour de l'autre duelliste. Il peut voir la sueur perler du front de son adversaire, tandis que sa poitrine se gonfle et s'abaisse au gré de sa respiration saccadée. La sienne est une brise continue, paisible et sereine. Il patiente, aux aguets de la plus infime ouverture. Une goutte coule sur le sourcil de son ennemi, qui tente de la chasser d'un brusque revers de la main. C'est plus qu'assez pour tenter une incartade. En une fraction de seconde, Atsadi s'élance. Son épée chante et siffle comme le vent alors qu'il jaillit à droite, feinte et rabat sa lame sur la gauche. Le bretteur haderite pare au dernier moment, et les deux armes s'entrechoquent en carillonnant, douce musique à ses oreilles.

Atsadi virevolte, positionnant sa lame pour protéger sa course. Il n'a pas besoin de réfléchir :son instinct dicte ses gestes, anticipe les coups, improvise des parades. Il plonge, fait mine de vouloir l'embrocher, pivote son poignet, fait retomber son glaive en un arc vicieux. Leurs pieds soulèvent la poussière tandis qu'ils dansent. Les épées s'entrecroisent, s'entremêlent, résonnent l'une contre l'autre comme sonne le glas. L'escrimeur n'a pas menti : il est talentueux, mais pas assez pour le mettre en danger. Car il est Atsadi, la Cigale de Dusk, celui que l'on nomme l'Épéiste Manchot. Nul autre que lui ne peut prétendre à avoir vaincu tour à tour Tomoe Gozen, Achille et même Sun Wukong. Nul autre que lui n'a réussi à désarmer Hua Mulan, ou à pousser Gericht vaan-Bracht à ployer genou.

Dusk était en permanence baignée de pénombre. Cité troglodyte suspendue au milieu de rochers flottants, elle surnageait au-dessus d'une mer de nuages. Chaque matin, avant que l'aube ne vienne remplacer l'obscurité par une grisaille crépusculaire, Atsadi se levait pour aller s'occuper de son troupeau de chèvres. Luttant contre les vents ascendants qui remontaient de l'Inframer, il menait son cheptel à travers un maillage de pontons, de corniches et d'échafaudages, avant de laisser ses bêtes grimper le long des îlots volants. Et il leur emboîtait le pas sans traîner des pieds, escaladant les sentiers abrupts pour émerger sur les pâturages venteux de la surface.

Dusk était un port d'attache pour les navires volants, tout comme elle était un pied-à-terre pour les brise-brumes qui traversaient l'Inframer en contrebas. Elle avait été bâtie au sein du brouillard permanent, sur le revers des îles flottantes, avec tout un système d'échelles, d'escaliers escarpés et de poulies élévatrices pour accéder au niveau de l'eau. Hormis le matin, lorsque les nuages se coloraient d'une lueur rosée ou orangée, la ville était constamment noyée dans les ténèbres. Pour y vivre, il fallait s'habituer à une existence nocturne et vertigineuse. Il fallait supporter la nuit sans fin, la pesante couverture rocheuse qui planait au-dessus de toutes les têtes, et le tangage permanent du plancher, en essayant de ne pas penser au vide sous ses pieds.

C'est pourquoi, chaque fois que revenait l'aube, Atsadi avait hâte de monter. Il avait cette chance, contrairement aux autres, de se confronter à l'immensité de l'azur. Là-haut, à la surface, il pouvait contempler les rayons du soleil filtrer à travers les rochers, épinglés dans le ciel par un quelconque caprice du monde. Il se positionnait quasiment toujours au même endroit, où une bande de lumière venait frapper son visage et réchauffer sa peau frissonnante. Alors, dans la clarté naissante, il fermait les yeux et l'appelait. Et durant cette parenthèse entre la nuit et le jour, à la frontière de l'ombre et de la lumière, elle venait lui tenir compagnie.

Elle se nommait Aurora, fille d'Hypérion, sœur du Soleil et de la Lune. Elle était l'annonciatrice du jour nouveau, et c'était une déesse. Le père d'Atsadi lui avait raconté son histoire, pour lui expliquer ce qu'était la lumière. Et quand il fut en âge de surveiller les troupeaux, c'était elle qu'il avait invoqué pour jouer et tromper la solitude. Il avait donné à l'Eidolon l'apparence d'une enfant de son âge. Elle était toujours là pour lui, pour jouer à cache-cache entre les rochers, pour courir et l'aider à rassembler les chèvres. Parfois, ils s'allongeaient dans l'herbe pour regarder les nuages dériver au-dessus d'eux, ou partaient se promener, s'inventant mille aventures sur le chemin. Mais lorsque le Soleil était au zénith, il devait chaque jour la quitter pour aller aider son père à affiner ses fromages.

Les années passant, elle devint sa complice, sa confidente. Alors qu'il grandissait, son apparence à elle changea aussi pour refléter son propre âge. Souvent, ils se blottissaient l'un contre l'autre, pour que sa chaleur se diffuse en lui. Ils se baladaient, bras dessus, bras dessous, en s'échangeant leurs rêves, leur vécu, tandis que bourdonnait autour d'eux une cigale qui l'accompagnait toujours. Un jour, alors qu'ils faisaient la sieste, il se redressa sur son coude pour regarder son visage, pour plonger son regard dans le sien... et le plus naturellement du monde, il déposa un baiser sur ses lèvres, qu'elle lui rendit. D'abord timide et maladroite, leur étreinte se fit fougueuse et brûlante. Lui humain, elle Eidolon, il leur semblait que l'éternité les séparait, mais qu'en même temps, rien ne pouvait les éloigner l'un de l'autre...

Ils s'imaginèrent une vie entière ensemble. Elle était son bonheur, sa lumière. Elle lui enseigna l'Altération, et en retour, il lui façonna des bosquets merveilleux, des lacs à l'eau claire et limpide dans laquelle se reflétaient leurs émois. La cigale d'Aurora se posait parfois sur son épaule, faisant vibrer son abdomen, comme pour bénir de son chant leur union. Bien sûr, ils se posaient la question de la différence de leur condition : elle éternelle, et lui simple mortel, condamné à disparaître quand son existence toucherait à sa fin. Mais ce danger était loin, et ils voulaient plus que tout profiter du jour présent. Ils avaient toute une vie pour trouver une solution. Ou du moins, le croyaient-ils.

Ils dormaient l'un contre l'autre, tendrement enlacés sur une barque, quand Atsadi fut tiré de son sommeil par les cymbalisations de la cigale. En levant la tête, il vit tout autour de lui le monde rayonner d'une étrange lueur irisée. Les herbes, habituellement vertes et ondoyantes, se teintaient de rose avant de se cristalliser... Leurs brins carillonnaient en s'entrechoquant les uns contre les autres, et parfois se brisaient, tandis que s'élevaient et flottaient dans l'air des particules, comme de la poussière de tourmaline. Aurora ouvrit les yeux à son tour, alors que la barque se retrouvait prise dans une gangue de quartz.

Ses yeux tranquilles étaient en train de se pétrifier, de se recouvrir de facettes luisantes. Leur embarcation, prise dans un étau grandissant de topaze, commença à se retourner et à sombrer. L'eau enveloppa l'Eidolon, avant de se figer comme de la glace autour d'elle. Atsadi parvint à lui saisir la main, tira de toutes ses forces pour la libérer... mais bientôt, son bras fut enveloppé à son tour, et il hurla en sentant comme des milliers d'échardes pénétrer sa chair. À travers la paroi translucide, il vit Aurora le fixer intensément. De la lumière émana d'elle, se diffusa avec vigueur dans la membrane cristalline jusqu'à jaillir hors de la gangue et frapper la cigale.

Dès qu'il put marcher, il se rendit sur le lac de verre, pour constater avec horreur qu'Aurora y était encore enchâssée. De sa main valide, il frappa son cocon, mais aucun outil, aucune arme ne parvint à le briser. À travers l'Altération, il invoqua des Eidolons, pour leur demander leur aide. Mais aucun d'eux ne parvint à fendre la prison de cristal. Jusqu'au moment où la Chimère nouvelle-née se manifesta de nouveau à ses côtés. C'était comme si la foudre avait alors pris vie. Comme si un éclair s'était paré d'une silhouette humanoïde. Celui qu'il finirait par appeler Surge lui conta l'existence d'une épée mythique : Excalibur, que seul l'héritier du Roi des Rois pouvait se targuer de brandir. Cette dernière pouvait trancher les cimes des montagnes, fendre les eaux de la mer... Elle seule pouvait fissurer la geôle de cristal.

Il esquive, frappe de l'épaule son adversaire pour le faire basculer. Le bretteur haderite, alors qu'il tente de se relever péniblement, sent la lame d'Atsadi se poser sous son menton et contre son cou. La mâchoire serrée, il concède la victoire, jetant son arme au sol tandis que la foule du Colosseum exulte. Mais Atsadi ne savoure pas son triomphe. Ce ne sont là que des jeux sans importance. Lui attend de partir au loin, là où règne le Tumulte. Les légendes des premiers Nomades racontent qu'avant la fondation d'Asgartha, une Tribu Perdue était restée en arrière, protégée par des spadassins mythiques pour couvrir l'avancée des sept autres vers le lieu qui deviendrait leur foyer.

Ces illustres ferrailleurs sont encore connus comme les Sept Épéistes, même si leurs noms ont depuis longtemps été oubliés. Et Atsadi n'a pas le choix : il doit trouver leur identité et les débusquer. Il doit en apprendre suffisamment sur eux pour les matérialiser, les défier, et les vaincre. Car sur les hauteurs de Dusk, sa bien-aimée patiente. Elle est tout pour lui, son bonheur, sa lumière, et il fera tout pour la délivrer de sa torpeur, pour qu'une nouvelle aube naisse enfin sur leur amour. Alors en attendant, il croisera le fer avec quiconque le souhaite, quiconque viendra contester sa suprématie. Qu'ils viennent. Atsadi est bien décidé à faire résonner son nom au firmament, quoi qu'il en coûte.