Akesha & Taru
Lore
6 février 2024
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"Kesh", comme certains la nomment avec tendresse, s'est imposée une existence tournée vers la spiritualité et l'apprentissage des voies magiques, au premier rang desquelles trône l'Eidomancie, la capacité de conjurer des idées. Mais ses compétences en Horomancie, la magie des Iris, lui permettent aussi de percevoir des bribes du futur et de jouer avec la fabrique même du temps. Elle a fait de cette spécialité sa marque de fabrique, sa petite touche personnelle. Car il faut dire que cette faculté semble toujours lui donner un petit coup d'avance sur ses pairs, aussi déstabilisant que cela puisse être pour eux.
Beaucoup la disent espiègle et insouciante, voire pétulante, même si ces derniers finissent toujours par sourire de sa bonne humeur communicative. Mais en réalité, derrière cette façade frivole, Akesha est une Initiée studieuse et consciencieuse, qui ne lésine pas sur les efforts pour en apprendre davantage sur le versant magique du monde. Boulimique de savoir, toujours prête à aider les autres Mages dans leurs expérimentations, elle semble constamment affairée, avec mille et une choses à mener de front. Mais cela ne la dérange pas pour un sou, tant qu'on lui laisse quelques instants pour souffler un minimum. Et le temps, elle sait le trouver quoi qu'il arrive, magie oblige.
En ces occasions, on peut la voir déambuler au sein des jardins du Kadigir, les yeux perdus dans le vague ou en contemplation du monde environnant, ou bien jeûner pendant plusieurs jours à l'ombre d'un érable ou d'un pin, absorbée par une intense méditation. Elle semble aujourd'hui tellement chez elle dans les jardins du Collège de magie d'Asgartha... Pour autant, rien ne la destinait initialement aux arcanes occultes et à une carrière au sein du Magisterium. Née dans l'opulence d'un splendide palazzo troglodyte niché au cœur du quartier aristocratique de Kuth Kanat, elle a été dès son plus jeune âge formée dans le but d'embrasser une vocation plus politique.
Chaque jour se succédaient inlassablement les cours dispensés par une cohorte de précepteurs, allant des leçons de musique ou de danse aux lectures d'histoire, de gestion ou d'étiquette. Même si elle était constamment entourée de servants et d'instructeurs, Akesha vivait une existence solitaire. Elle pouvait parfois apercevoir avec envie des enfants jouer dans les rues d'Arkaster lorsqu'un professeur l'emmenait visiter un musée ou voir une pièce de théâtre. Mais cet isolement ne dura pas éternellement. À la naissance de Kumari, de trois ans sa cadette, Kesh se donna pour mission de veiller sur elle, de se dévouer corps et âme à sa petite sœur. Leurs parents, accaparés par leurs assignations diplomatiques, n'étaient que peu présents, et hormis leur sévère gouvernante — qu'elles prenaient un malin plaisir à entourlouper — c'est bien Kesh qui devint comme une seconde mère pour la jeune enfant.
Parfois, elles se faufilaient en dehors du palazzo et escaladaient le mur d'enceinte du Kadigir, explorant les jardins abracadabrants du Bastion Yzmir. Les deux jeunes filles s'y promenaient fréquemment, essayant d'esquiver les Disciples et Initiés qui arpentaient quotidiennement ses allées sinueuses. Et même si elles furent découvertes à plusieurs reprises et sermonnées en conséquence, elles devinrent peu à peu les coqueluches du corps enseignant du Magisterium. Au grand dam de leurs précepteurs, Akesha et Kumari étaient toujours prêtes à faire les quatre cents coups, à se prélasser au soleil et au grand air plutôt que de s'enfermer dans les tréfonds poussiéreux des salles d'étude.
Parfois, elles s'insinuaient aussi dans les souterrains ténébreux de Kuth Kanat, explorant le gruyère labyrinthique qui se déployait derrière les luxueuses habitations. Elles pouvaient y voir le ballet des charretiers, allant et venant au gré des voies de livraison, l'étrange parade des ingénieurs et ouvriers de l'Axiom, qui entraient ou sortaient de leurs ascenseurs métalliques avec leurs tabliers et gants couverts d'huile et de suie. Chaque sortie était une expédition, chaque recoin de leur quartier un terrain de jeu.
C'est au cours d'une de ces échappées que les deux jeunes filles tombèrent sur une brèche au sein de la roche, un soupirail qui attendait d'être condamné. Elles s'y introduisirent, découvrant derrière la paroi un réseau de petits ruisseaux et de rigoles, mais dont l'eau remontait leur lit au lieu de le descendre. Elles suivirent les goulots que l'eau avait creusés dans la roche, leurs pas éclaboussant leur robe et leur jupon, profitant de leur petite taille pour se faufiler là où des adultes auraient été incapables de passer. Malgré l'obscurité qui régnait en ces lieux, une lueur qui semblait émaner directement de la roche, et transformait les parois tout autour d'elles en voûtes étoilées, leur permit de s'enfoncer plus loin dans les profondeurs de la terre. Et au terme de leur périple, les deux jeunes filles débouchèrent sur une grande étendue d'eau où se déversaient une multitude de cascades. Sans le savoir ni le vouloir, elles avaient pénétré dans le Puits des Larmes, le sanctuaire sacré des Yzmir.
Sous la surface du lac souterrain, des formes lumineuses dansaient langoureusement, images évanescentes et hypnotiques qui s'emmêlaient, se combinaient et se séparaient sans cesse. Kesh et Kumari observèrent longuement ces effluves, fascinées par ce spectacle irréel. C'est alors que Kumari s'avança vers le bord de l'étendue d'eau, tendant la main pour essayer de toucher les émanations spectrales... Mais son pied dérapa sur la roche glissante, et elle bascula dans les eaux noires et iridescentes. Kesh se précipita alors, saisissant la main de sa sœur pour la hisser sur le rebord. Mais ses propres pas dérapaient sur les parois moussues, et ses forces n'étaient pas suffisantes pour la tirer hors de l'eau. Elle appela à l'aide, pria de toute ses forces pour que quelqu'un vienne les secourir.
C'est alors qu'une présence apparut au-dessus d'elles : une femme d'une grande beauté, tenant dans sa main gauche une immense épée. L'Eidolon agrippa sans effort la petite Kumari, l'arrachant aux eaux glacées du lac. Mais Kumari ne fut pas sauvée pour autant. Elle avait bu la tasse, et par le biais de l'eau, absorbé de grandes quantités d'Éther pur. Elle fut emmenée au Cloître pour y être soignée, mais ni Baku ni Caladrius ne parvinrent à restaurer l'intégralité de sa santé mentale. Désormais sujette à des visions et des crises de folie douce, elle resta au sein du Kadigir pour s'assurer que son état n'empire pas.
Akesha se sentit terriblement fautive, et cette culpabilité bouscula toute son existence. Dès qu'elle le put, elle intégra les rangs des Disciples Yzmir et se dédia avec ferveur à l'étude des arts ésotériques. Il lui fallait trouver un remède pour sa sœur. Elle se devait de soigner cette "Rémanence" qui lui causait tant d'afflictions. Elle put compter dans cette entreprise sur le soutien de Kuwat Vasanti, Eidolon et ancien Magister de la Sphère d'Eidomancie. Le Mage avait vu en elle une flamme inextinguible qui pouvait la mener haut au sein de la hiérarchie Yzmir, et il devint son mentor attitré.
Avec son aide, Akesha espérait trouver un moyen de sauver sa sœur. En de nombreuses occasions, elle dilata le temps pour en apprendre toujours davantage sur la magie et surtout la Rémanence. Vasanti s'aperçut du subterfuge en remarquant ses traits de plus en plus tirés et ses siestes intempestives durant les cours magistraux. L'Eidolon lui proposa son aide, et la jeune fille l'accepta avec soulagement. Avec la présence de son Alter Ego et de l'Eidolon à ses côtés, il lui sembla un instant que rien ne pourrait les arrêter, qu'avec leur assistance, elle trouverait forcément un remède contre le mal de Kumari.
Mais les mois et les années passèrent sans qu'aucune solution ne s'offre à eux. Quels que fussent les efforts et le temps investis, les pistes prometteuses se muaient inéluctablement en impasses. À de nombreuses reprises, Kesh s'imagina baisser les bras, avant de secouer la tête vigoureusement pour chasser ces idées noires de son esprit. Et Taru ne pouvait que la consoler de ces échecs répétés, enroulant ses bras autour de la magicienne alors qu'elle sanglotait. C'est alors qu'à contrecœur, Vasanti proposa à Akesha un pari fou : celui d'étendre leur champ de recherche en regardant en dehors d'Asgartha.
Kesh commença par refuser catégoriquement. Elle ne pouvait pas laisser sa sœur seule. Elle ne pouvait imaginer l'abandonner de la sorte. Mais l'idée resta à trotter dans sa tête. Au fur et à mesure des déconvenues et des fiascos, Akesha eut de plus en plus de mal à ne pas considérer cette alternative. Se pouvait-il que la solution se trouve ailleurs, dans un monde inconnu mais qui avait encore tout à offrir ? Elle resta éveillée de longues nuits durant, pondérant cette question, la contemplant sous tous les angles possibles. La condition de Kumari ne faisait que se détériorer, sans espoir de rémission, et le temps était compté.
Elle resta de longs moments auprès de sa sœur, qui essayait autant que possible de faire bonne figure malgré la fatigue et les accès de Rémanence. Durant toutes ces années, Akesha avait elle aussi tenté de faire face, mais c'était comme si les vannes s'étaient ouvertes, et que toute sa frustration, toute sa tension, se déversaient soudain, la laissant lasse, à bout de forces et sans idée du chemin à suivre. Mais au matin, une nouvelle résolution bourgeonna en elle : partir hors d'Asgartha n'était pas synonyme de fin, mais d'un nouveau départ dans sa quête.
Avant que Kesh ne parte, Kumari lui demanda de lui faire une promesse. Cela faisait des années qu'Akesha ne s'autorisait pas à vivre, à cause d'elle. Elle était devenue sa prison, et c'est quelque chose qu'elle ne voulait pas. Entre deux divagations, quand son esprit fut suffisamment clair, elle l'exhorta à vivre pleinement, à ne pas s'enfermer avec elle, à trouver sa véritable place. Kumari, quant à elle, voulait découvrir le monde, et Kesh était son moyen de le faire. Quand elle reviendrait, elle pourrait lui raconter tout ce qu'elle aurait vu en dehors des frontières. Grâce à elle, elle pourrait alors quitter sa cellule, le temps d'une rêverie. C'était le meilleur moyen pour elle de briser les barreaux de sa geôle. Et en retour, Kesh jura qu'elle trouverait un moyen de la soigner : un remède, un onguent, une panacée.
Avec la bénédiction de sa sœur, Kesh convoqua Vasanti pour lui faire part de sa décision. Elle alla trouver les Magisters pour leur signifier son acceptation. Sa flamme ravivée, elle mit le pied à l'étrier pour développer son endurance, apprit tout ce qu'il lui était possible d'assimiler pour survivre au sein des terres altérées. Tout le reste du temps, elle le passa avec Kumari, le cœur lourd de devoir lui faire des adieux aussi longs. Mais les deux sœurs étaient désormais animées d'un nouvel espoir, et elles feraient tout pour garder cette étincelle en vie aussi longtemps que possible.